Confusion sein tétine : vrai ou faux risque pour votre allaitement ?

“Ne donne jamais de tétine à ton bébé, tu vas compromettre ton allaitement !” : si vous avez un jour évoqué votre intention de donner une sucette ou un biberon à votre bébé, vous avez sûrement déjà entendu ça. Alors, vrai ou faux ? Je démêle ce sac de noeuds pour vous !

La confusion sein-tétine, qu’est-ce que c’est ?

Bien démarrer votre allaitement est déterminant pour la suite. En général, on vous avertit avant même votre sortie de la maternité qu’utiliser un biberon (voire une sucette !) risque de tout faire rater. C’est la fameuse “confusion sein-tétine”.

L’idée derrière cette croyance ? La succion qu’exerce votre bébé sur un sein et celle qu’il exerce sur une tétine de biberon ou une sucette ne sont pas les mêmes… et ça pourrait compliquer la reprise du sein.

La confusion sein-tétine, mythe ou réalité ?

Si on y réfléchit 2 minutes, la confusion sein-tétine n’a pas beaucoup de sens. Les nouveaux-nés ne voient pas grand-chose, ne contrôlent pas leurs mouvements et ne communiquent pas très bien leurs besoins spécifiques. Mais les bébés en bonne santé savent comment téter. En fait, c’est une action réflexe qu’ils ne contrôlent pas ! Et la succion est un moyen naturel de calmer un bébé qui pleure.

Malgré des preuves limitées et incohérentes, le mythe de la confusion sein-tétine est largement répandu… et constitue une grande source de stress pour les nouvelles mamans qui allaitent. Pour y voir plus clair, remontons à la source de la polémique !

La confusion sein-tétine, vrai ou faux problème pour votre bébé allaité ?

American Academy of Pediatrics
vs Organisation mondiale de la Santé

La polémique s’explique en grande partie par les positions contradictoires de deux institutions scientifiques. D’un côté, l’American Academy of Pediatrics (AAP) et de l’autre, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

En 2005, l’American Academy of Pediatrics suggère de donner une sucette aux nourrissons pour les protéger contre le syndrome de mort subite du nourrisson (SMSN). En 2009, l’Organisation mondiale de la santé affirme au contraire qu’il ne faut jamais donner de tétine artificielle aux nourrissons allaités. 

C’est à partir des recommandations de l’OMS que les hôpitaux “amis des bébés” ont adopté le principe suivant : aucune sucette ne doit être donnée aux nourrissons allaités. En 2018, l’OMS enfonce le clou : l’emploi des tétines pourrait perturber la capacité des mamans à reconnaître les besoins de leur enfant. Enfin, la tétine pourrait diminuer la stimulation exercée sur le sein, contribuer à réduire la sécrétion de lait et aboutir à un sevrage précoce.

Voilà pour les recommandations de l’OMS et de l’AAP. Examinons maintenant les recherches scientifiques sur le sujet !

Confusion sein-tétine :
que nous apprend la recherche scientifique ?

Les recherches scientifiques infirment l’idée selon laquelle les biberons occasionnels ou les sucettes perturbent l’allaitement.

Allaitement et sucette :
y a-t-il un risque de confusion ?

En 2012, un examen de toutes les recherches effectuées sur l’allaitement et l’utilisation de la sucette a été réalisé. Verdict ? Aucun lien entre l’utilisation de la sucette et la diminution du taux d’allaitement. 

Ceci dit, l’utilisation de la sucette était associée à une baisse significative de la durée de l’allaitement complet et de l’allaitement général. Ce qui a amené les chercheurs à se poser ces deux questions : 

  1. Est-ce l’utilisation de la sucette qui est à l’origine de la diminution de l’allaitement ? 
  2. Ou est-ce que les mères qui ne prévoient pas d’allaiter à long terme proposent plus facilement des sucettes à leurs bébés ? 

En tout cas, la différence dans les taux d’allaitement est apparue trop tard pour que les chercheurs l’attribuent à la confusion sein-tétine.

Et oui, ne l’oubliez jamais : corrélation ne signifie pas causalité ! Clin d’œil : si vous n’êtes pas convaincu·e (et que vous parlez un peu anglais), allez rendre visite à ce site.

En 2013, un essai publié dans la revue Pediatrics a examiné plus de 2 000 nouveau-nés avant et après que les sucettes aient été littéralement mises sous clé dans la pouponnière d’un hôpital. Résultat ? Le pourcentage de nourrissons allaités a diminué lorsque les sucettes ont été bannies de l’hôpital (ce qui n’était pas le cas du lait artificiel). Il s’agit d’une étude intéressante, car elle a abouti à l’inverse de ce que l’on attendait !

Une autre préoccupation courante : la crainte que les enfants qui utilisent une sucette soient plus susceptibles de développer des otites. Le risque est en effet multiplié par 1 ou 2… chez les enfants plus âgés. Cette augmentation du risque d’otites ne concerne pas ou peu les six premiers mois de la vie de votre bébé. Alors laissez votre nouveau-né téter !

Et chez les prématurés, 4 travaux incluant 283 nouveau-nés ont montré que la tétine raccourcissait :

  • la durée de l’hospitalisation, de 7 jours ;
  • la période de transition entre gavage et alimentation orale complète, de 3 jours.
Confusion sein-tétine : les recherches scientifiques montrent que vous pouvez donner une sucette à votre bébé allaité !

Allaitement et biberon :
y a-t-il un risque de confusion ?

Les études scientifiques n’ont pas non plus réussi à démontrer que l’alimentation limitée au biberon est préjudiciable (Gray-Donald et al 1985 ; Schubiger et al 1997).

Un exemple ? Dans une étude, les chercheurs ont réparti les nouveau-nés en deux groupes :

  • le premier bénéficiait d’un allaitement exclusif pendant les 5 premiers jours du post-partum ;
  • le second bénéficiait de soins incluant un biberon occasionnel. 

Résultat ? Après 6 mois de suivi, les chercheurs n’ont constaté aucune différence entre les deux groupes, que ce soit en termes de fréquence ou de durée de l’allaitement (Schubiger et al 1997).

Les mères ne compromettent donc pas le succès de l’allaitement parce que quelqu’un d’autre nourrit leur bébé de temps en temps. En tout cas, pas si elles commencent à allaiter peu de temps après l’accouchement et si, dans l’ensemble, elles maintiennent un rythme de tétées fréquentes.

D’autres études apportent plus de précisions. 

En 2004, un essai a montré un avantage possible à donner des aliments complémentaires à un bébé avec une tasse plutôt qu’un biberon. En 2008, une autre étude a montré que le taux d’allaitement exclusif était plus élevé chez les nourrissons nourris à la tasse plutôt qu’au biberon. Mais cet effet n’a été observé qu’au moment de la sortie de l’hôpital : à trois mois, les groupes s’étaient équilibrés.

Une piste de réflexion : à propos du biberon, on attribue souvent les problèmes d’allaitement à la confusion entre le sein et la tétine. Or, il est probable que la “préférence pour le débit” soit l’enjeu le plus important. Si possible, attendez donc environ un mois avant d’introduire le biberon : ça vous permet d’établir la production de lait et de faciliter la transition du sein au biberon… et vice-versa. 

Par ailleurs, utilisez une tétine à débit lent et à base large afin que votre bébé ait besoin d’ouvrir grand la bouche pour prendre le biberon, comme il le fait avec le sein. Vous pouvez aussi essayer de donner le biberon à un rythme soutenu – en tenant votre bébé debout, biberon à l’horizontale et en tournant le biberon vers le bas toutes les quelques tétées pour que le bébé ait une succion vide. Cette méthode imite plus fidèlement le débit de l’allaitement.

Et puis, entre nous, j’ai un souci avec le conseil de ne jamais nourrir son bébé au biberon. Concrètement, il implique que le seul point à prendre en compte dans la décision est le succès de l’allaitement à long terme, sans se soucier de la mère !

Confusion sein-tétine : les recherches scientifiques montrent que vous pouvez introduire le biberon sans accroître le risque de faire échouer votre allaitement !

Et les mamans dans tout ça ?

On a trop tendance à l’oublier : la santé et le bien-être de la mère sont d’une importance capitale. Les bébés ont moins de chances de s’épanouir et sont plus susceptibles de rencontrer des problèmes quand leur mère est stressée.

Aussi, il me semble qu’une grande partie du débat sur l’allaitement maternel exclusif prend racine dans une mythologie fantasmée de la race humaine. Les gens supposent que l’allaitement maternel exclusif est la condition “naturelle” de notre espèce, depuis les chasseurs-cueilleurs jusqu’aux sociétés préindustrielles et agraires.

La recherche, anthropologique cette fois, démontre pourtant que les peuples traditionnels, non industrialisés, ne pratiquent généralement pas l’allaitement exclusif pendant les 6 premiers mois. Chez les peuples modernes, pendant les premiers jours du post-partum, d’autres femmes, qui allaitent, peuvent participer à l’allaitement du nouveau-né (Tronick et al 1987). 

Des aides expérimentées apportent également leur contribution en s’occupant des enfants plus âgés de la mère. Enfin, les familles reçoivent des subventions alimentaires des autres membres du groupe. Les parents ne peuvent pas se permettre de s’occuper de leurs bébés et d’élever leurs enfants sans cette aide extérieure !

Dans d’autres sociétés traditionnelles, de l’Asie du Sud-Est (Jambunathan 1995) à la Chine (Raven et al 2007), en passant par le Maroc (Westermark 1926), c’est aussi courant que les mères passent les 30 à 40 jours après l’accouchement en isolement post-partum. Pendant cette période, elles sont dispensées (voire carrément interdites) d’effectuer la plupart des tâches, à l’exception de l’allaitement. Des amis ou des parents (généralement la mère ou la belle-mère de la mère) les aident à faire le ménage et à préparer les repas. La réclusion post-partum n’est pas nécessairement exempte de stress. Les cultures peuvent imposer des rituels et des tabous que les mères peuvent trouver contraignants (Leung et al 2005). Mais l’aide que les mères reçoivent rend probablement l’allaitement à la demande moins difficile.

L’allaitement est un bonheur, mais aussi un défi. En conséquence, toute aide est bienvenue ! Recrutez des partenaires, des parents et des amis pour vous aider. Tirez votre lait et laissez quelqu’un d’autre nourrir votre bébé pendant que vous essayez de faire la sieste. Profitez de toutes les occasions qui se présentent à vous pour vous reposer !

Sources

Données scientifiques relatives aux dix conditions oour le succès de l’allaitement, OMS
Précision qui est souvent occultée : les 10 conditions pour le succès de l’allaitement maternel de l’OMS concernent le démarrage de l’allaitement et le contexte du séjour en maternité.

Tolppola O et coll. : Pacifier use and breastfeeding in term and preterm newborns-a systematic review and meta-analysis. Eur J Pediatr., 2022;181:3421-3428. doi: 10.1007/s00431-022-04559-9

Doan, T. et al. Breast-feeding increases sleep duration of new parents. The Journal of Perinatal & Neonatal Nursing 2007 ; 21 (3) : 200-206.

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